Avec la crise de SigFox, qu'en est-il de LoRa et du secteur des réseaux étendus légers ?
Il y a environ deux ans, j'avais prédit que LoRa serait le vainqueur parmi les technologies concurrentes dans le secteur des réseaux étendus à basse consommation (LPWAN). Pour résumer, par « LPWAN », j'entends les technologies radio à faible puissance qui visent à constituer une alternative « légère » aux technologies de transfert de données à travers un réseau cellulaire.
Les réseaux LPWAN utilisent généralement un spectre sans licence, c'est-à-dire sans frais d'utilisation. Ces solutions sont destinées aux applications de l'Internet des objets (IOT). Un exemple classique d'application IOT est le relevé de compteur, où les demandes de trafic de données sont faibles et principalement unidirectionnelles, du dispositif vers le serveur.
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Dans mon analyse précédente, j’indiquais que les différences techniques entre les différentes offres LPWAN n’étaient pas très importantes, mais que LoRa offrait le modèle commercial le plus convaincant pour réussir. Au cours des derniers mois, SigFox, la principale alternative à LoRa, s’est trouvé en situation de redressement financier. Il s'agit d'un statut juridique français qui équivaut à peu près au « chapitre 11 », bien connu aux États-Unis, de la protection contre la faillite. Entretemps, les chiffres disponibles sur SigFox ont été peu encourageants. L’entreprise a levé 300 millions de dollars (beaucoup d'argent, mais sans doute loin d'être suffisant compte tenu des ambitions affichés). Les pertes nettes ont atteint 91 millions d'euros pour des revenus de 24 millions d'euros, et les dettes se sont élevées à plus de 150 millions d'euros.
Depuis, Sigfox est passé tout près de la liquidation financière. Ses actifs ont été rachetés pour environ 4 millions d’euros par UnaBiz, société fondée en 2016 et basée à Singapore. Ce qui émergera de ce processus ne sera probablement pas une entreprise ou une unité commerciale avec la même ambition mondiale. Les clients actuels peuvent espérer la survie de l'entreprise, mais pendant quelques temps, il est difficile d’imaginer que beaucoup de nouveaux clients voudront parier sur elle.
C’est simplement une question de la confiance que le marché peut accorder ou pas à la société et/ou à sa technologie. Jusqu’à présent le modèle d’affaire de SigFox n’a pas montré sa capacité à faire croitre l’entreprise tout en étant rentable. L’entreprise a brulé énormément de cash. Nous ne connaissons pas le modèle d’affaire prévu par UnaBiz. Il est possible que cette nouvelle entité reprenne le même modèle. Dans cette situation où la solution SigFox est propriétaire et le seul fournisseur pour tout, il est difficile d’imaginer que de nouveaux clients voudront investir dans un système qui n’a pas fait ses preuves avec tous les risques potentiels associés.
Peu d'autres évolutions spectaculaires du marché
Les autres concurrents dans ce domaine n'ont pas connu de revers aussi spectaculaires, mais n’ont pas tous fait preuve d'une forte traction. Ingenu, une société américaine, semble suivre un modèle commercial similaire à celui de SigFox, en ce sens qu'elle propose un « guichet unique ». Elle revendique une couverture de son réseau sur un certain nombre de zones urbaines américaines, mais elle est loin d'offrir une couverture nationale, voire mondiale. Il est donc probable que cette solution reste une solution de niche.
Il est bien sur envisageable qu’une technologie concurrente arrive sur le marché avec des performances supérieures. Dans ce cas, quand cette nouvelle technologie chalenger pourra-t-elle atteindre une masse critique pour pouvoir rentabiliser les investissements nécessaires.
Le protocole LoRa a eu un énorme avantage dans le fait qu’il est arrivé sur le marché pendant une période où le monde des opérateurs cellulaires avait « oublié » le marché M2M. Aujourd’hui, avec la très forte croissance du marché IOT, ce n’est plus le cas. Ceci rend difficile l’arrivée d’une nouvelle technologie.
De la liste ci-dessus des technologies possibles, quelques-unes ne sont pas vraiment comparables – Zeta est plutôt un opérateur qui déploie des extensions de zones couvertes, WiFi HaLow a une portée limitée (1km vs 10km).
On peut imaginer qu’une ou deux technologies pourront s’implanter dans des secteurs géographiques ou applicatifs spécifiques. Mais il semble difficile qu’une nouvelle technologie s’installe rapidement et durablement pour toutes les applications généralistes et dispersées.
LoRa va-t-il dominer l'avenir du LPWAN ?
Alors, cela signifie-t-il que tout est en place pour que LoRa domine l'avenir du LPWAN ?
Eh bien, oui et non ! Les atouts de LoRa sont impressionnants. Semtech détient les droits sur la technologie radio sous-jacente tandis que le développement des protocoles de mise en réseau est piloté par un organisme industriel multifournisseur, la LoRa Alliance. La technologie n'est donc pas liée au succès ou à l'échec d'un seul fournisseur. En outre, Semtech est une entreprise bien établie dont le sort ne dépend pas uniquement de LoRa. Cela confère à LoRa une résilience qui fait défaut aux autres concurrents.
Semtech a mis en place des licences pour les éléments radio propriétaires, ce qui signifie que les émetteurs-récepteurs de base sont multi-fournisseurs.
Microchip SAM R34/R35 | Microchip Technology a un chip LoRa. Aussi, il y a pas mal de transceivers radio sub-Giga, qui peuvent être adaptés pour ajouter LoRa. Si le marché continue de croitre, toutes ces solutions alternatives vont se déployer.
Les clients peuvent acheter des dispositifs provenant de diverses sources. Ainsi, toute personne qui souhaite réaliser un prototype ou une expérience, peut simplement acheter ce dont elle a besoin et se lancer sans s'engager auprès d'une entreprise unique. La possibilité de mettre en place des réseaux privés à moindre coût reste un atout essentiel. Ceci permet de développer et de couvrir facilement des espaces éloignés ou difficiles d'accès, comme les zones rurales ou les parkings souterrains. À l'heure actuelle, il n'existe aucun concurrent évident offrant une telle combinaison d'avantages.
La seule faiblesse évidente et qui reste inchangée, est l'absence de services de réseau public global cohérents et l’absence de plan pour développer de tels réseaux. Certaines zones peuvent bénéficier d'une bonne couverture, sous l'impulsion d'un opérateur privé, d'un gouvernement ou d'une autorité locale. Mais quiconque recherche une couverture nationale a peu de chances d'être satisfait, et encore moins celui qui cherche une solution globale. Et le revers de la médaille du modèle diversifié et distribué de LoRa est que l'on ne sait pas vraiment qui pourra un jour résoudre ce problème. Les opérateurs de réseaux cellulaires peuvent se contenter de soutenir du bout des lèvres ce type de technologie LPWAN, tout en favorisant l'utilisation de leur spectre sous licence qu’ils ont acquis à grands frais.
Aujourd’hui, il est évident qu’une des faiblesses de LoRa est le manque de couverture national/globale à travers des réseaux d’opérateurs publics. Dés le moment ou une telle couverture serait en place un peu partout (comparable à la couverture cellulaire), ce serait un boom pour la technologie Lora.
LoRa - un palliatif ?
La grande question qui se pose alors est de savoir si LoRa ne sera qu'un pis-aller jusqu'à ce que les technologies de données cellulaires de prochaine génération NB-IOT et LTE-M prennent véritablement leur essor. Sur ce point il est très difficile de répondre. Personne ne peut nier que le monde cellulaire est collectivement un acteur formidable avec des investissements massifs dans les grandes technologies, avec des opérateurs de réseaux bien financés et avec un organisme de normalisation mondial fort. Il ne fait guère de doute que pour de nombreuses organisations à la recherche de solutions de collectes de données IOT, le monde cellulaire sera la solution naturelle, en particulier à travers des opérateurs qui disposent d'une infrastructure nationale ou mondiale.
Les opérateurs cellulaires comme concurrents
Toutefois, les divers besoins des applications IOT ne seront pas toujours adaptés à ce type de solution. De manière quelque un peu paradoxale, bien que les opérateurs cellulaires soient en principe de puissants concurrents, il n'est pas évident que l'activité LPWAN soit extrêmement intéressante pour eux, du moins pour l'instant. Leur objectif premier est de servir les abonnés de téléphonie mobile avides de données. Un service comportant un grand nombre de nœuds qui consomme des quantités relativement faibles de données n'est pas nécessairement un service qui leur permet de gagner beaucoup d'argent. C'est pourquoi, dans ce domaine, les opérateurs se focalisent en priorité sur les utilisateurs importants et relativement avides de données.
Pendant ce temps beaucoup de progrès sont réalisés chaque année dans le domaine des services publics LoRaWAN alors la technologie NB-IOT (la variante cellulaire la plus « légère ») a peu progressé en dehors de la Chine. Certains opérateurs européens (notamment Orange) ont donc adopté une stratégie LTE-M et/ou LoRa pour répondre aux besoins en matière de flux de données.
Pour gérer l’itinérance qui n’est pas vraiment géré entre réseaux LoRaWAN, les fournisseurs de services mettent en place des solutions coopérative. Certains parlent même de réseaux satellitaires pour combler les lacunes (généralement en zone rurales). Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour que les approches LoRaWAN puisse égaler les offres du monde cellulaire, mais chaque année des progrès sont accomplis.
LoRa bien adapté à l'IOT
À mon avis, LoRa est bien adapté à un segment de marché spécifique, celui des diverses applications IOT qui nécessitent de combiner dispositifs à faible puissance, environnements peu propices à la couverture cellulaire, faibles débits de données et solutions autonomes. LoRa s'adresse aux utilisateurs qui souhaitent contrôler leur propre service et leur solution de manière continue. De nombreuses petites et moyennes entreprises trouveront LoRa mieux adapté à leurs besoins qu'un engagement avec un opérateur. Les fournisseurs de solutions qui ciblent des niches techniques sont également susceptibles de trouver en LoRa un outil de connectivité utile pour les applications dans l'agriculture, les solutions urbaines, la gestion des grands bâtiments, etc. En particulier dans les villes, les réseaux publics sont de plus en plus friands de LoRaWAN.
L’approche 5G reste dans le domaine du monde cellulaire, avec le Spectrum licencee et tout ce qui va avec (engagement avec un opérateur, etc). Et ce n’est pas une technologie très basse consommation comme LoRa.
Mais le monde de la technologie avance très vite, il y a toujours la possibilité que des avancées techniques rendent une autre technologie obsolète. En même temps, on doit rappeler que les technologies LTE-M et NB-IOT existent déjà depuis quelques années. Aujourd’hui leur déploiement reste très limité. A ce stade il est impossible de prédire si une approche dominera le marché, soit les réseaux ouverts et gratuits type Lora, soit les réseaux fermés cellulaires. Il est très possible que les deux approches cohabitent longtemps
L'avenir de l'écosystème LoRa/LoRaWAN
La question qui reste est donc de savoir si cet espace est suffisamment vaste pour soutenir un écosystème LoRa/LoRaWAN solide à long terme, ou si le mastodonte des réseaux cellulaires finira par tout balayer devant lui ? En dehors de ces deux offres, il ne semble pas y avoir d'autres concurrents encore en lice.
La croissance continue de LoRa et le soutien d'un large éventail d'acteurs suggèrent de répondre avec un oui prudent. Il est très probable que LoRa deviendra l'ultime survivant en tant qu'alternative aux solutions cellulaires.